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L’application stricte du régime de droit commun au cumul mandat social, contrat de travail en SCIC

1. – Le juriste en droit de l’ESS a une forme de réflexe quand il envisage le cumul du mandat social d’un dirigeant de SCIC avec un contrat de travail : il ne peut s’empêcher d’écarter toute analogie avec les avantages octroyés au dirigeant de SCOP en la matière ! Il serait tentant, en effet, de confondre les deux tant les SCOP bénéficient d’un régime simple et efficace : les dirigeants ont un droit au cumul. On comprend difficilement que la proximité de notion entre la SCIC et la SCOP n’ait pas conduit le législateur à unifier ces régimes.

2.-Clairement, le statut social du dirigeant en SCIC ne bénéficie d’aucun avantage. Il conviendra de le soumettre au régime de droit commun. Particulièrement, il faudra considérer le cumul du mandat social et du contrat de travail : tant le droit social que le droit des sociétés en sont méfiants.

Quelles sont les conséquences de l’application du régime de “droit commun” ?

3. – Qui dit travail, ne dit pas forcément relation de salarié à employeur ! Pour cela, le juriste doit qualifier un contrat de travail. Ceci est essentiel à plus d’un titre :

– l’application du Code du travail et du régime protecteur qui en découle (nous pensons particulièrement à la procédure de licenciement qui encadre plus durement une rupture soudaine et non choisie) ;

– l’assujettissement du travailleur -salarié- au régime général de la Sécurité sociale bien que des non-salariés se voient régulièrement appliquer le régime général de la Sécurité sociale par détermination de la loi (v. art. L. 311-3 CSS) ;

– le bénéfice des droits relatifs à l’assurance chômage ;

– la compétence d’une juridiction spéciale : le conseil des prud’hommes.

4. – Assez simplement, la notion de contrat de travail s’entend “d’une convention par laquelle une personne offre sa force de travail en contrepartie d’une rémunération”. Le juriste précisera la notion en y ajoutant les 3 critères dégagés par la Cour de cassation dans l’arrêt de principe “Société générale” de 1996 (Soc., 13 nov. 1996, n°94-13187).

1° L’existence d’un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. Ceci procède d’une jurisprudence constante, confirmée par plusieurs arrêts (v. le pouvoir de direction et de sanction de l’hôpital envers un interne en médecine Soc, 1er juillet 1997 n°95-40.401 ou plus récemment un centre d’éducation permanente envers ses intervenants Civ, 2ème, 25 mai 2004, n°02-31.203).

2° Le versement d’une rémunération s’entendant au sens large, peu important une rémunération en espèce (salaire, traitement, honoraire, commission, primes, indemnités) ou en nature (fourniture d’un logement, d’un véhicule)… (v. Soc. 28-04-2011 n°10-15.573)

3° L’existence d’un travail effectif qui doit être réel. L’intéressé devra produire des preuves de ses fonctions techniques au sein de l’entreprise.

5. – Il est donc probable que le mandataire social peine à démontrer qu’il puisse être sous l’autorité d’un employeur… en étant lui-même détenteur de la fonction employeur. Pas de lien de subordination, pas de contrat de travail !

6. – Un deuxième frein est à relever du côté du droit des sociétés. En effet, le mandataire social est normalement révocable “ad nutuum” c’est-à-dire à n’importe quel moment dès lors que la collectivité des associés y consent. Il s’agit d’une règle d’ordre public, il n’est donc pas possible d’y déroger par un accord de volonté. Or, le contrat de travail risque de compromettre la capacité des associés à mettre un terme au mandat dans la mesure où ils devront probablement recourir à la procédure de licenciement pour se séparer du dirigeant. Quoiqu’il arrive, la présence d’un contrat de travail empêchera le libre usage du droit de révocation.

Analyse et proposition juridique

7. –Plusieurs pistes de réflexion gagnent à être explorées :

– Il conviendra de correctement organiser le cumul du contrat de travail et du mandat social au sein de la SCIC. Sauf à ce qu’elle soit constituée en SA, il peut être opportun de faire bénéficier le mandataire d’un contrat de travail. Ceci en prenant plusieurs séries de précaution : établir le contrat de travail en amont de l’établissement du mandat social, nommer plusieurs dirigeants afin que l’un d’entre eux soit mandaté aux fins de porter la fonction employeur, ajouter  une clause précisant la qualification du lien de subordination (en envisageant, par exemple, que le salarié réalise des reportingtrimestriels, subisse des entretiens d’évaluation face à un comité…) et particulièrement en précisant l’impossibilité pour l’associé d’une SCIC d’en être majoritaire (capital et droit de vote), prévoir une convention de mandat social pour matérialiser les deux fonctions, envisager l’établissement de deux bulletins de salaire, préciser conventionnellement le sort du contrat de travail dans l’hypothèse d’une révocation et procéder à un rescrit Pôle Emploi afin de sécuriser le montage ;

– Éventuellement, si les conditions n’ont pas été suffisamment mises en oeuvre dès le début du mandat, il est recommandé de sécuriser le mandat social en établissant une convention de mandat social dans laquelle seront précisés: le recours à une assurance GSC afin d’opter pour un chômage “privé” au bénéfice du dirigeant, une clause prévoyant une indemnité de départ (dans une limite ne risquant pas de faire échec à une éventuelle révocation) et la possibilité de “congé”. Cette convention a la nature d’un contrat sui generis et doit être correctement envisagée pour ne pas faire l’objet d’une requalification judiciaire inopportune !

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